M.T.C. ?

Comprendre la relation étroite entre Médecine Traditionnelle et Culture Traditionnelle Chinoise.
Rédigé par Nicolas Lebrault – Praticien en MTC

1. La médecine chinoise, vers une définition.

La médecine chinoise 中医 (zhōng  ) est une discipline qui synthétise le corps principal des théories médicales propres à la Chine et son expérience clinique dans le but d’étudier au sein des activités vitales des êtres, les règles de transformation entre santé et maladie, ainsi que celles présidant à leur prévention, leur diagnostic, leur traitement, leurs soins et leur prophylaxie.

Système théorique de la médecine chinoise :

  • Il s’agit d’un système scientifique global formé par 3 éléments principaux de connaissance :
  • concept de base,
  • principes ou lois fondamentales,
  • règles scientifiques de base.

Ainsi le système théorique de la médecine chinoise repose sur le système logique de la médecine chinoise et est constitué de concepts de base, connaissances fondamentales et principes fondamentaux.

Sa méthodologie scientifique s’appuie sur le matérialisme archaïque de l’antiquité chinoise ainsi que sur la pensée dialectique.

Ses théories principales sont :

  • La théorie de l’unité de l’énergie 气一元论 (qì yī yuán lùn),
  • La théorie du yin yang 阴阳 (yīn yáng)
  • La théorie des 5 mouvements 五行 (wǔ xíng).
  • La conception globale 整体观念 (zhěng tǐ guān niàn) est sa pensée directrice, la physio-pathologie des organes/viscères 脏腑 (zàng fǔ) et méridiens/collatéraux经络 (jīng luò) en est son noyau, le diagnostic différentiel et la stratégie de traitement 辨证论治 (biàn zhèng lùn zhì) en étant son cadre diagnostic et thérapeutique.

Pour résumer :

  • Méthodologie scientifique — théories du qi, du yin yang et des 5 mouvements
  • Pensée directrice — concept de globalité
  • Contenu central — organes/viscères et méridiens
  • Caractéristique diagnostic et thérapeutique — diagnostic différentiel/traitement

2. Caractéristiques de la culture traditionnelle chinoise.

On estime généralement que la culture traditionnelle chinoise s’étend de la période des sociétés esclavagistes et féodales (dynasties Xia, Shang et Zhou), jusqu’à la Guerre de l’opium (certains auteurs considèrent qu’elle s’étend jusqu’au mouvement culturel du 4 mai 1919). L’esprit central de cette culture est la recherche de l’harmonie sur deux niveaux : harmonie entre l’homme et la nature 天人合一(tiān rén hé yī) et harmonie des relations humaines.

Les caractéristiques fondamentales de cette culture traditionnelle se reflètent à travers :

  1. Le principe de globalité, qui dans une vision macroscopique conçoit l’univers comme un tout dans lequel tout élément est relié aux autres. Cette cosmogonie comprend principalement les 3 « dispositions » : Ciel, Terre, Homme, caractéristique à l’origine de la médecine traditionnelle chinoise.
  2. Les propriétés humaines : tout un modèle moral régit cette culture, passant de la pratique sur soi-même à la gestion de la famille, au gouvernement du pays et à l’unité universelle, à l’intérieur duquel la pratique sur soi-même pour devenir un homme vertueux (personne de bien, désintéressée, etc) reste centrale. Cette étique imprègne complètement la philosophie, la religion, la culture et l’art. Ces données permettent de comprendre pourquoi la médecine chinoise considère l’homme comme fondamental et la maladie comme secondaire.
  3. Les propriétés de transmission : la culture traditionnelle porte un grand intérêt à la transmission ininterrompue depuis plusieurs millénaires des données culturelles, principalement à travers l’orthodoxie confucéenne 道统 (dào tǒng) et l’héritage du maître. Les œuvres littéraires des maîtres fondateurs sont élevées au rang de critère pour différencier le vrai du faux. Cette idée se reflète fidèlement dans la médecine chinoise pour laquelle les Classiques en tant qu’instrument d’éducation jouent un rôle fondamental. L’inconvénient d’une telle disposition se retrouve dans certaines vénérations excessives empêchant toute percée nouvelle. La médecine traditionnelle chinoise constitue ainsi une part importante de la culture traditionnelle et un miroir de l’esprit du peuple chinois.

3 Caractéristiques culturelles de la médecine chinoise.

3.1 Vision globale s’établissant sur les 3 dispositions : Ciel, Terre, Homme

Concrètement la vision globale de la médecine chinoise se reflète par l’unité qu’elle conçoit entre l’Homme et le Ciel ainsi que par celle entre le corps (xíng) d’un côté, qui renvoie à la structure et la substance, et l’esprit (shén) de l’autre côté qui renvoie aux fonctions. Ces concepts proviennent directement des philosophies antiques et conduisent à placer l’Homme entre Ciel et Terre, et à le considérer comme un tout organique au milieu de son environnement naturel et social.

Dès le Nèi jīng¹ 内经 on trouve cette valorisation de la dimension sociale, alors que la médecine moderne n’élargit la dimension biologique au domaine social qu’à partir de la moitié du XXème siècle seulement. Ainsi le modèle médical global de la médecine chinoise intègre à la fois l’être vivant (biologie), la dimension psychologique et le domaine social. Cette vision incluant très tôt dans l’histoire, trois dimensions dont on connaît aujourd’hui l’importance de leur intégration au sein des sciences médicales, justifie – si besoin en était – d’envisager comme possiblement prépondérant le rôle de la médecine chinoise dans l’évolution de la médecine moderne.

3.2 Conception morale de la médecine : l’Homme au fondement de la vie

Le Dà yī jīng chéng² 大医精诚 insiste largement sur la dimension éthique de la médecine, en accordant beaucoup d’importance aux valeurs de la vie et en plaçant l’Homme au centre de ces valeurs, ce qui signifie que des dix mille choses placées entre Ciel et Terre, l’Homme est la plus précieuse. Cette vision « anthropocentriste » se reflète complètement dans l’éthique médicale de la médecine chinoise. Si toute discipline scientifique est influencée par la société dans laquelle elle émerge, la médecine chinoise voit dans sa morale éthique l’empreinte des 3 dispositions, avec, au centre, l’Homme. Se faisant la médecine s’élève au rang d’un art  humanitaire et bienfaisant, servi par un médecin qui se doit d’être désintéressé et aimant. La médecine chinoise ne vise pas seulement à diminuer voire à éliminer les maladies, mais aussi à conserver la santé de la population.

3.3 Vision dynamique permanente de l’engendrement mutuel de l’équilibre yin yang

Le concept de changement, mouvement ou transformation 运动 (yùn dòng) oriente de façon prioritaire l’observation de la santé et de la situation pathologique. La médecine chinoise, comme on l’a dit, s’appuie dans sa méthodologie, sur les concepts de qi, de yin yang et de 5 mouvements, la racine de la vie étant le qi. C’est par les mouvements du qi qu’est créé le monde et ses dix mille choses. Or ces mouvements sont rendus possibles – intrinsèquement parlant – par les mouvements du yin yang (un se divise en deux, les deux associés redeviennent un). Ce sont les mouvements du yin yang qui constituent les mouvements de la vie. Selon l’approche philosophique, le monde est mouvement, lequel provient des relations contradictoires entre yin et yang qui pénètrent chaque chose. Ainsi yin et yang deviennent les règles du mouvement et le qi, la matière fondamentale qui permet de constituer et conserver les activités vitales de l’Homme. Elle est la racine de la vie.

Les mouvements du qi sont appelés « qì huà » 气化, qui produisent la vie. On peut donc dire à l’inverse que la vie est un corps organique fait de qi hua. Le processus qui va de la santé à la maladie (auquel il convient de rajouter la notion moderne de sub-maladie) puis à la mort est le résultat des mouvements du yin yang.

Ainsi la santé est, selon le Nèi jīng 内经, synonyme de « yīn píng yáng mì » 阴平阳秘 (yin calme et égal, yang caché). Ici encore se manifeste le concept d’harmonie qui imprègne tous les pans de la culture chinoise, y compris la médecine. La maladie apparaît lorsque cet équilibre du yin yang est rompu. Le concept de sub-maladie – définit aujourd’hui comme un état prenant place entre santé et maladie – peut en médecine chinoise être perçu comme une situation au cours de laquelle l’équilibre yin yang est déjà rompu mais qui ne se manifeste pas encore concrètement par une maladie. La vision dynamique qui parcourt tous les pans de la médecine chinoise est de toute première importance, son reflet le plus direct se retrouve dans le biàn zhèng lùn zhì à la fois image d’une situation dynamique et procédant d’un raisonnement dynamique pour arriver à une solution variable selon les situations différant en cela de la médecine moderne qui conçoit chaque maladie de façon plus figée et propose en réponses des protocoles thérapeutiques adaptés mais fixes.

3.4 Vision thérapeutique ainsi préventive et anticipatrice

La médecine chinoise insiste largement sur la notion de « traitement en l’absence de maladie 治未病 (zhì wèi bìng) » : lorsqu’il y a équilibre yin yang, il convient de prendre des mesures pour empêcher un éventuel déséquilibre. De cette idée découle toutes les pratiques prophylactiques et les pratiques de soin qui ont pour unique but de préserver la santé ainsi que de contrôler la maladie et son évolution lorsque celle-ci apparaît. Ce n’est qu’après l’apparition de la maladie que seront mis en œuvre les différents procédés thérapeutiques.

 

  1. Le Huángdì Nèijīng 黄帝内经 est au cœur de l’art médical, reliant les sciences de la nature et la philosophie. Cet ouvrage traite de manière systématique de la physiologie, de la pathologie, du diagnostic, de la thérapeutique, de la prévention, … .Le système théorique fondé par le Nèijīng  a permis le développement des autres théories.

  2. Le Dà yī jīng chéng est le premier chapitre de l’ouvrage « Prescriptions Valant Mille Pièces d’Or » 千金要方 Qiānjīn yàofāng, écrit par Sun Simiao à la fin du VIIe siècle en 30 volumes.